La mêlée quotidienne
La mêlée quotidienne (aussi appelée “daily”, “stand up” ou “scrum”) est une courte réunion d’équipe qui, comme son nom l’indique, se tient tous les jours et qui est largement adoptée dans le milieu du développement informatique. Tout comme le randonneur s’arrête pour consulter sa carte, l’équipe s’arrête pour un bref point de situation.
L’intention ici est de prendre de la hauteur : se remémorer l’objectif (la destination), célébrer le travail que l’on vient d’accomplir (le trajet parcouru), vérifier que l’on est dans la bonne direction et corriger la trajectoire si nécessaire, anticiper d’éventuelles difficultés et leurs contre-mesures.
Les trois questions
Pendant longtemps j’ai principalement utilisé le format classique “des trois questions” posées à chaque équipier à tour de rôle : qu’as-tu accompli depuis la dernière mêlée (qui nous rapproche de l’objectif), que vas-tu faire d’ici la prochaine mêlée (qui va nous rapprocher de l’objectif), rencontres-tu des obstacles (qui nous ralentissent pour atteindre notre objectif).
Un des avantages de ce format est de donner à chacun un temps d’expression conséquent. Cependant, il devient mécaniquement quasi impossible de respecter la durée de la réunion, 15 minutes, si l’équipe est trop grande, c’est-à-dire au-delà d’une dizaine de personnes.
Taille optimale d’une équipe
Sujet très discuté, la taille optimale d’une équipe semble se situer entre 5 et 10 personnes (moins de 10 pour le Scrum Guide (1), de 6 à 9 pour Olivier Devillard (2), autour de 7 pour Pablo Pernot (3)).
J’ai tenu plusieurs fois le rôle de Scrum Master dans des équipes de taille importante, de plus de 15 équipiers, où pour des raisons contextuelles il n’avait pas été possible de scinder le groupe en deux.
Il s’est alors posé pour moi cette question : comment faire tenir en 15 minutes une mêlée qui reste efficace ?
Focalisation sur le flux
La solution fut de passer d’une focalisation sur les personnes (les trois questions) à une focalisation sur le flux de travail.
Classiquement dans le développement logiciel, le flux de travail est matérialisé dans un tableau de suivi où chaque colonne représente une étape de ce flux. Ce tableau présente à minima trois états : “prêt à développer”, “en cours de développement” et “fini”. Il est courant d’en trouver d’autres tels que “en revue”, “en recette” ou encore “en test”.
Tableau de suivi
Dans ce format de mêlée, on se focalise sur le flux de travail pour en optimiser le débit.
En voici le déroulé tel que je le mets en œuvre.
Vision partagée de l’état d’avancement et dernières réalisations
La mêlée commence par la présentation d’un graphique (burnup) montrant l’état d’avancement sur la période en cours (le sprint). L’objectif est double : que chacun ait une vision claire de cet avancement, et que cette vision soit partagée.
Burnup
Les éléments terminés depuis la dernière mêlée sont mis en avant. Ici, l’intention est de souligner les progrès réalisés, reconnaître le travail accompli et entretenir la motivation de l’équipe.
Inspection du tableau
On bascule ensuite sur le tableau de suivi. Tous les éléments engagés non finis, c’est-à-dire tous les éléments sauf ceux de la première et de la dernière colonne, sont passés en revue.
Le parcours se fait en remontant le flux, colonne par colonne de droite à gauche et de haut en bas dans chaque colonne.
Parcours du tableau de suivi
Un bref statut de chaque élément est fait par l’équipier en charge de le faire avancer dans le flux. Il va indiquer si tout se passe bien, signaler des points de blocages s’il y en a, faire des demandes d’aides si nécessaire. Pour conclure, il indique quand il pense avoir fini le travail en cours sur l’élément et ainsi pouvoir le changer de colonne (le faire avancer dans le flux).
Plusieurs personnes peuvent travailler simultanément sur un élément, dans ce cas c’est un représentant du groupe qui prend la parole.
Des actions relatives au traitement des éventuels points de blocage et demandes d’aides peuvent être déterminées en séance si les discussions sont brèves. Sinon, si on sent que l’on commence à trop rentrer dans les détails et qu’il va falloir un temps de réflexion plus conséquent, on invite les personnes concernées à en discuter après la mêlée.
Projection temporelle
En plus de donner de la visibilité à l’équipe, ce statut invite chaque personne à se projeter à la fin de l’étape en cours pour pouvoir donner une échéance. Ce changement temporel de perspective aide à la détection au plus tôt de points à risques et de problèmes potentiels.
Un autre aspect notable est que l’indication d’une date ou d’un délai de réalisation génère de l’engagement chez la personne qui l’a déterminé de manière autonome et qui en fait l’annonce publiquement.
Lorsqu’un équipier prévoit de terminer son activité en cours avant la prochaine mêlée, il indique l’élément suivant sur lequel il va travailler. Si l’équipe pense que ce n’est pas le meilleur choix, une discussion s’ensuit pour décider d’une alternative répondant mieux aux priorités ou tactiquement plus intéressante.
Fin de mêlée
Une fois le tableau parcouru, on poursuit par un dernier bref moment de questions diverses de coordination ou d’information générales s’il y a lieu (rappel d’indisponibilité de plateforme de compilation, …) et la mêlée se termine.
Regardons maintenant quels sont les avantages de cette mêlée orientée flux.
Format rapide et dynamique
Le temps passé sur les éléments non bloqués et qui ne posent pas problème est réduit à son minimum, on indique juste quand il y aura une avancée dans le flux (changement de colonne). De manière générale, l’inspection ordonnée des éléments de travail cadence et dynamise la mêlée.
Réduction naturelle du nombre d’éléments engagés
Un des exercices le plus difficile et le moins aimé des développeurs est d’estimer le temps à passer sur une tâche, que ce soit du développement, du test, des corrections ou des spécifications. Comme il est systématiquement demandé à tous d’indiquer à l’équipe des dates de fin de réalisation, chacun sait que plus il a d’éléments en cours, plus il devra faire ce travail.
Ainsi, cette contrainte d’estimation va naturellement pousser chacun à ne pas démarrer de nouvelles activités avant d’avoir terminé ce qui est en cours. Le nombre global d’éléments engagés s’en trouve donc réduit.
Meilleur gestion des éléments ralentis ou bloqués
Le format de mêlée “trois questions” ne garantit pas une inspection quotidienne exhaustive de tous les éléments en cours. En effet, les items ralentis ou bloqués sur lesquels personne ne vient de travailler ne sont pas abordés dans les interventions des équipiers. Pour les adresser, un temps spécial doit leur être dédié en fin de mêlée et les éléments mal identifiés peuvent passer sous les radars, ce qui n’est pas le cas dans la mêlée orientée flux.
Réduction du temps de traversée
Le temps de traversée est le temps compris entre le moment où l’on décide d’engager un élément de travail et le moment où il est terminé. Dans une approche en flux on va chercher à le minimiser. Ici, la réduction du nombre d’éléments en cours, la gestion des éléments ralentis ou bloqués et l’inspection de chaque item de travail dans sa réalisation et dans sa temporalité concourent à réduire le temps de traversée.
En conclusion
Alternative au format de mêlée classique “des trois questions”, la mêlée orientée flux se focalise sur les éléments de travail et présente les avantages suivants :
- elle est plus rapide et plus dynamique,
- elle permet de réduire le temps de traversée en réduisant naturellement le nombre d’éléments de travail en cours et en offrant une meilleure gestion des éléments bloqués.
Pour aller plus loin
Au-delà du cadre de la mêlée, Kanban est une méthode globale proposant une approche en flux au niveau de l’entreprise. Le livre de Laurent Morisseau et Pablo Pernot, Kanban, L’approche en flux pour l’entreprise agile, est incontournable sur le sujet.
Références
(2) La dynamique des équipes et l’intelligence collective – Olivier Devillard