Le général Pierre Schill est chef d’état-major de l’armée de Terre, une institution de 130 000 hommes et femmes, militaires et civils. Il vient de publier “Le sens du commandement” (1), un ouvrage au style direct, clair et concis. Le livre, dont je viens de terminer la lecture, m’a fortement interpellé, de par la profondeur et la cohérence de la vision exposée, et de par l’éclairage qu’on peut en tirer sur d’autres organisations, en particulier celles des entreprises.
Il s’inscrit dans la continuité du savoir-faire militaire, héritier d’une longue histoire au cours de laquelle s’est façonné un commandement “à la française”.
Commandement par intention
Une notion centrale du livre est le commandement par intention. L’auteur en donne la définition suivante : “Le commandement par intention est une philosophie qui fait le pari de l’intelligence et de la confiance ; celle de chefs qui donnent du sens à l’action, synthétisent les objectifs et pratiquent la subsidiarité ; celle de subordonnés qui s’attachent à comprendre les enjeux supérieurs auxquels ils concourent. Elle fait primer les finalités sur les modalités.”
Vision holistique
En cohérence avec cette approche, l’auteur précise le sens et l’objectif du commandement par intention : contribuer à remplir efficacement la mission première de l’armée, qui est d’assurer la sécurité de la nation dont elle est l’émanation.
Il présente une vision globale, cohérente, synthétique et argumentée de l’organisation qu’il souhaite. Il dessine un cadre, donne la direction dans laquelle chacun aura à aligner ses actions, et définit l’état d’esprit attendu.
Intelligence collective, sens et engagement
Une des clés du commandement par intention est la confiance faite à l’intelligence de chacun, le pari sur l’intelligence collective. Pour le chef, cela signifie adopter une posture d’ouverture et mettre en œuvre des compétences relationnelles. Le subordonné n’est pas vu comme un simple exécutant, le sens de l’action lui est donné, il est associé à la prise de décision, mais sans en être le décisionnaire final.
L’intérêt est double : de meilleures décisions et un meilleur engagement.
Prise d’initiative
S’exerçant au sein d’un cadre hiérarchique clair dans lequel les responsabilités sont clairement définies, un autre bénéfice du commandement par intention est qu’il favorise la prise d’initiative.
Contrôle
L’intention du commandement passe par trois systèmes pour se transformer en effet sur le terrain :
- un système de prise de décision
- un système de mise en application (mode opératoire)
- un système de régulation
Le contrôle, tel qu’il est présenté dans l’ouvrage, n’est pas un contrôle de l’application mécanique des ordres, mais un contrôle de régulation. Il est vu comme un feedback, une boucle de rétroaction qui permet de prendre en compte les évolutions du contexte opérationnel et de s’assurer que l’on reste dans l’intention et le but de l’ordre donné. Si on fait un parallèle avec l’entreprise, on dirait qu’on ne contrôle pas que les personnes travaillent, mais on vérifie que le résultat du travail est bien en ligne avec les objectifs fixés.
L’auteur écrit : “Le contrôle se distingue de l’entrisme. Il ne s’agit pas de vérifier que le subordonné exécute la mission comme le chef l’aurait fait, mais de l’assurer que la solution mise en œuvre atteint le but.”
Bureaucratisation
Une grande difficulté que rencontre actuellement l’armée de Terre est l’excès de bureaucratisation. Avec la volonté de réduire les coûts, de viser l’efficience plus que l’efficacité, une organisation centralisée des moyens a été mise en place. Cela s’est traduit par une dégradation de l’organisation opérationnelle et une perte de clarté sur la distribution des responsabilités quant à la gestion des moyens. Des ajustements d’organisation ont été apportés, en déplaçant le niveau de centralisations, afin de mieux allier économie de moyens et efficacité opérationnelle.
Principe de précaution et appréhension du risque
Une autre difficulté à laquelle doit faire face l’armée de Terre est la judiciarisation de la prise de risque issue de l’instauration du principe de précaution.
Ce principe, dont l’intention est louable, vient en opposition avec la nature des opérations militaires ou la perte de vie est un risque accepté et intégré.
De manière plus globale, le principe de précaution porte en creux le message qu’il est possible de construire une organisation dans laquelle le risque n’existe pas. Cette croyance est problématique car toute vie est intrinsèquement risquée. On pourrait imaginer une autre manière d’envisager collectivement le risque, moins paralysante, en s’inspirant entre autres de la vision qu’en a l’armée.
Conclusion
Une des forces de l’ouvrage tient dans les pistes de réflexions qu’il ouvre quand on compare l’organisation présentée avec celles des entreprises, notamment sur les thématiques de relations hiérarchiques, d’engagement, de sens, de travail collaboratif et de responsabilité.
Les limites de cette comparaison tiennent dans les spécificités du monde militaire, en particulier :
- l’engagement au combat et le risque létal associé,
- l’absence de notion de responsabilité d’équipe, comme on l’entend pour une équipe de développement informatique par exemple (dans l’armée, la responsabilité est individuelle et hiérarchique).
En conclusion, je recommande chaudement la lecture du livre du général Pierre Schill “Le sens du commandement”, un livre utile dont la forme est au diapason du propos : synthétique et clair dans l’intention.
Références
(1) Le sens du commandement – Pierre Schill
Biographie du général Pierre Schill (ministère des armées et des anciens combatants)

